Il y a soixante ans a eu lieu la répression policière la plus sanglante d’une manifestation pacifique dans l’histoire moderne de la République. Des centaines d’Algériens et d’Algériennes furent blessés, des milliers arrêtés, torturés, emprisonnés dans des conditions inhumaines ou refoulés en Algérie ; des dizaines de manifestants et de manifestantes tués, jetés vivants dans la « Seine rougissante », pour reprendre les mots puissants de Kateb Yacine.
Il y a soixante ans, des hommes, des femmes, des enfants (et je pense tout particulièrement à Fatima Bedar, qui avait quinze ans), dans leur plus grande dignité, avaient bravé l’interdit de manifester pour dénoncer l’asservissement de leur peuple. Il y a soixante ans, des familles entières se sont rendues à une manifestation contre la politique coloniale de la France, pour l’indépendance de leur pays, malgré le couvre-feu raciste imposé en pleine capitale.
Il y a soixante ans, c’est un massacre colonial qui a eu lieu en France, à Paris. Derrière la baguette, un homme, le préfet Maurice Papon, qui avait déjà tristement brillé par son passé de collaborationniste. Des ordres ont été froidement donnés, froidement exécutés, puis froidement cachés, couverts pendant de longues années au plus haut sommet de l’Etat.
Un processus sur la mémoire a été engagé. L’ancien président de la République François Hollande a reconnu la sanglante répression. Des travaux ont été engagés, jusqu’à la récente remise du rapport Stora au président actuel. Emmanuel Macron a participé hier – geste inédit et fort – à un hommage sur les berges de la Seine, évoquant des crimes inexcusables pour la République.
On avance mais, soixante ans plus tard, tant de chemin reste à parcourir. Il est temps de reconnaître les atrocités du 17 octobre 1961 comme un crime d’Etat, d’un Etat colonial. Construisons ensemble un discours lucide à destination des générations futures en respectant cette mémoire. Faisons société en donnant de la place à ces événements douloureux pour que chaque citoyen et citoyenne en construction sache ce qui s’est passé. Il est tant d’ouvrir en grand les archives de notre pays sur la guerre d’Algérie, car derrière la date du 17 octobre 1961 se dessine tout un combat pour reconnaître l’atrocité des politiques coloniales menées par la France, en Algérie mais pas seulement.
C’est essentiel car, aux racines des discriminations actuelles, nombreuses, quotidiennes, lancinantes que nous constatons et dénonçons au quotidien dans notre pays, il y a ce passé colonial. Ainsi, il ne faut pas seulement reconnaître et commémorer. Il faut aussi agir car la situation actuelle mérite une grande politique volontariste de lutte contre tous les racismes, de lutte contre les discriminations à grande échelle, avec des moyens très importants. On parle souvent de violences policières, de racisme dans la police.
Certains voudraient balayer cela d’un revers de la main en disant : « Il n’y a pas plus de racisme dans la police que dans la société. » Comme si on pouvait accepter cette maxime. Comme si on pouvait accepter que le racisme ait sa place dans notre société. C’est inacceptable car c’est le banaliser. Inacceptable encore davantage de considérer qu’il serait normal de laisser au coeur des services publics de notre République des actes de racisme se développer. Au contraire, il faut une tolérance zéro.
Il faut mettre en oeuvre, du plus haut sommet de l’Etat jusqu’à la base de l’ensemble des services publics une politique très forte pour dire que cela suffit et que notre République se reconstruira grâce à l’égalité et à la mise en oeuvre de ce simple principe au fondement de notre système politique aujourd’hui.
Discours de Sophie Taillé-Polian, 17 octobre 2021.
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