« Contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ». C’est sous ce titre que le gouvernement a présenté, mercredi 1er février, en conseil des ministres, son projet de loi sur l’immigration. C’est le deuxième sous la présidence d’Emmanuel Macron et le 22e depuis la « loi Pasqua » de 1986, sans compter les décrets et circulaires.
On y retrouve toujours les mêmes éléments de langage : une « législation généreuse mais ferme » disait Jean-Pierre Chevènement en 1997, alors qu’Éric Besson prônait une « politique ferme mais humaine »en 2011 et que Gérard Collomb se faisait le chantre de « l’humanité et de la fermeté » en 2018.
Ne tombons pas dans le piège d’un soi-disant équilibre entre les « bons » sans-papiers qui pourraient être régularisés et les « mauvais » qui seraient expulsés selon les termes de Gérald Darmanin le 27 octobre 2022.
Illusion d’un « équilibre »
Certes, le gouvernement semble prendre enfin conscience de la réalité d’une économie qui use et abuse des travailleuses et travailleurs sans-papiers dans un contexte de forte progression de l’immigration du travail (+ 45 % en 2022).
L’Allemagne a décidé à l’été 2022 de régulariser des dizaines de milliers d’étranger.e.s ayant été débouté.e.s de leur demande d’asile pour leur permettre de travailler dans des secteurs en tension, grâce à un permis de séjour d’un an pouvant ensuite déboucher sur un titre permanent. L’Espagne a suivi, annonçant régulariser plusieurs milliers de sans-papiers présents sur son territoire depuis plus de deux ans.
Mais en France, il y a tromperie car ce projet est très limitatif et douchera les espoirs de la majorité des étranger.e.s. Le nouveau titre de séjour envisagé ne vise que des secteurs dits « en tension » avec des critères restrictifs (avoir travaillé depuis au moins huit mois sur les vingt-quatre derniers mois et résider en France de manière ininterrompue depuis au moins trois ans), alors que les justificatifs restent souvent difficiles à apporter. Il demeure soumis à l’arbitraire des préfets et aux besoins du patronat en fonction des pénuries de main-d’œuvre régionales.
Et ce titre, d’une durée d’un an, ne pourra déboucher sur l’obtention d’une carte pluriannuelle que si l’étranger.e peut justifier d’un CDI alors que les secteurs en tension recrutent majoritairement en intérim ou avec des contrats courts.
Pour complaire à la droite, le gouvernement pourrait même établir des quotas par nationalité « pour limiter les régularisations » selon le ministre de l’Intérieur, une mesure anticonstitutionnelle.
Le texte crée aussi une carte « talent » spécifique pour combler les pénuries de nos services de santé en facilitant la venue de médecins, pharmaciens, dentistes et sage-femmes étranger.e.s qui accepteront des conditions de travail désastreuses et mal rémunérées.
Il autoriserait par ailleurs les demandeurs d’asile à travailler dès le dépôt de leur demande, mais seulement pour ceux originaires de pays présentant un fort taux de protection dont le seuil serait fixé par décret, une véritable sélection en fonction des origines.
Alors qu’on estime entre 400 000 et un million les personnes en situation irrégulière en France, et que 30 000 sont régularisées chaque année dans le cadre de la « circulaire Valls » de 2012, dont 7 000 au titre du travail, ce projet de loi pourrait régulariser au mieux quelques milliers de personnes en plus, triées et sélectionnées au cas par cas. On en fera des travailleuses et des travailleurs jetables lorsqu’on n’aura plus besoin d’eux en oubliant qu’ils et elles ont le droit de vivre en famille, ont souvent des enfants scolarisés, paient des impôts, participent à la vie associative, sont des usager.e.s de services publics et contribuent à la richesse de notre pays.
Criminalisation des étrangers
Le gouvernement reprend sans vergogne l’argumentaire de la droite et de l’extrême droite assimilant étrangers et délinquants avec pour objectif de « rendre la vie impossible pour les migrant·e·s faisant l’objet d’une OQTF» comme l’a déclaré le ministre de l’Intérieur sans la moindre pudeur.
Dans sa volonté obsessionnelle de plaire à l’extrême-droite et de surfer sur les peurs largement alimentées par certains politiques et médias, le projet de loi supprime les protections applicables aux étranger.e.s arrivé.e.s en France avant l’âge de 13 ans, les conjoints ou parents de Français. Ceux-ci ne pouvaient être expulsés qu’en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, de terrorisme ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, et le seront désormais aussi pour des « menaces graves pour l’ordre public », une qualification floue et fourre-tout qui permettra tous les abus. C’est le retour de la « double peine » généralisée qui double – pour les étranger.e.s avec ou sans papiers – toute condamnation pénale d’une menace d’expulsion comme s’en est vanté le ministre de l’Intérieur dans un entretien au Parisien le 28 janvier 2023.
On trouve aussi, dans ce projet de loi la systématisation et l’allongement des OQTF (Obligations de quitter le territoire français) et des IRTF (Interdictions de retour sur le territoire français) alors que la France est le champion d’Europe en la matière avec plus de 143 000 OQTF délivrées en 2021. Gérald Darmanin l’avait déjà demandé aux préfets dans une instruction datée du 17 novembre 2022 : « Je vous demande de prendre des OQTF à l’égard de tout étranger en situation irrégulière, à l’issue d’une interpellation ou d’un refus de titre de séjour », allant jusqu’à évoquer « une police du séjour ».
Si moins de 10% sont exécutées, soit 15 000 personnes éloignées en 2022, c’est que certaines personnes ne sont pas expulsables. Ce qui n’empêche pas des préfets zélés d’en délivrer à des Afghans, des Syriens et même quelques Iraniennes recherchées dans leur pays allant jusqu’à en placer l’une d’entre elles en centre de rétention et à prendre attache avec les autorités iraniennes pour une autre. Ces décisions ont été rapidement annulées par la justice mais dégradent toujours plus l’image de notre pays, censé être celui des droits de l’homme et de la femme.
Pour augmenter le taux d’exécution des OQTF, il faudrait que les pays d’origine délivrent les laissez-passer consulaires et que la France cesse d’exercer un chantage sur certains d’entre eux. Et ce n’est pas un nouveau projet de loi ni les vociférations de l’extrême-droite qui y changeront quelque chose.
Le ministre a également indiqué vouloir systématiser la délivrance d’une OQTF aux demandeurs d’asile ayant vu leur première demande rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), et ce même lorsqu’ils formulent un recours ensuite. Si la mesure n’apparaît pas dans le projet de loi présenté en conseil des ministres, on peut craindre qu’elle soit adoptée par amendement lors de l’examen du texte.
Ce texte répressif comprend aussi la multiplication des centres de rétention, des assignations à résidence, et l’inscription des étranger·e·s sans-papiers auxquels aura été délivrée une OQTF au fichier des personnes recherchées.
Enfin, il réintroduit, sous une forme amendée, une disposition de la loi contre le « séparatisme » censurée par le Conseil constitutionnel qui prévoyait le refus ou le retrait d’un titre en cas de « rejet des principes de la République ».
Un droit d’asile plus rapide et moins protecteur
Sous prétexte de réduire le contentieux des étranger.e.s et d’accélérer l’instruction des demandes d’asile (plus de 130 000 requêtes en 2022), le gouvernement prévoit de créer des pôles territoriaux appelés « France asile » et d’expérimenter la présence d’agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) en préfecture. Mieux reconstituer l’état civil des demandeurs et demandeuses avec l’aide d’agents, en nombre suffisant et formés au droit des pays d’origine, et d’interprètes expérimentés, afin d’éviter les erreurs, paraît une mesure de bon sens mais l’objectif vise d’abord à hâter l’enregistrement des demandes.
Afin d’accélérer les recours, l’exécutif souhaite créer des chambres territoriales de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), aujourd’hui implantée sur un site unique, et surtout généraliser ses jugements par un magistrat unique plutôt qu’en formation de trois juges dont un représentant du Haut commissariat aux réfugiés (UNHCR).
Une loi discriminatoire, raciste et anti-démocratique :
Mensonges répétés sur la « délinquance étrangère », reprise des discours les plus abjects sur les étrangers « profiteurs des aides sociales », attaques contre les personnes et associations venant en aide aux sans-papiers, il s’agit bien de renforcer encore un climat xénophobe.
Le gouvernement cherche à faire passer le texte sans recourir au 49-3 alors que rien n’est moins sûr puisque la droite dénonce déjà une « campagne de régularisation » de travailleurs sans papiers.
Ce projet de loi s’attaque, à l’inverse, à tou·te·s les étranger·e·s, mais aussi à tou·te·s les travailleuses et travailleurs et à toute la société. Il entend imposer des conditions de travail dégradées aux étranger.e.s pour les généraliser ensuite à l’ensemble des salarié·e·s.
Pendant ce temps, les migrant.e.s continuent à mourir en Méditerranée, la France se montre incapable d’accueillir dignement les 234 rescapés de l’Ocean Viking et abandonne hommes, femmes, jeunes et enfants sur les trottoirs de nos villes. Aucune humanité, aucune volonté de mettre un terme à la dématérialisation excessive des demandes de titre de séjour en remettant des agents dans les préfectures pour accueillir les étranger.e.s dignement, ni de modifier les pratiques policières à leur encontre et vis-à-vis des associations qui leur viennent en aide.
Nous demandons, comme de nombreuses associations, une régularisation large de toutes les personnes étrangères présentes en France. Elle doit être générale et non catégorielle, et prendre en compte les jeunes majeurs, tous les travailleurs et travailleuses sans papiers, les parents d’enfants scolarisés… Il convient d’harmoniser et de simplifier les procédures d’accès aux droits, de délivrer un titre de séjour unique et pluriannuel, et de construire l’égalité des droits pour toutes et tous en matière d’accès au travail et à la protection sociale, indépendamment du statut administratif ou de la nationalité.
C’est pourquoi nous combattrons ce projet de loi injuste et discriminatoire à l’Assemblée nationale et avec les collectifs mobilisés partout en France pour l’accueil, la solidarité, les droits de toutes et tous. Nous défendons un autre récit basé sur la réalité de l’apport économique, social, culturel de l’immigration. Nous voulons un autre avenir, une autre société, un autre monde que celui de l’intolérance, du rejet, de l’exclusion, du racisme.
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